vendredi 28 novembre 2014

Défendre le pays réel

Le beau geste de la semaine



« Je donne ce prix à ceux qui défendent le pays réel »


 Lettre de Gabriel Nadeau-Dubois, publiée dans Le Devoir du 24 novembre 2014  - Lauréat du Prix littéraire du Gouverneur général 2014 et candidat à la maîtrise en sociologie à l’UQAM.

«  La se­maine dernière, le Con­seil des arts du Canada m'a décerné le Prix littéraire du Gou­verneur général pour mon es­sai Tenir tête. Cet hon­neur s'ac­com­pa­gne d'une bourse de 25 000 $. Je ne m'at­tendais pas à re­cevoir un tel prix et, une fois la sur­prise passée, j'ai été saisi d'un étrange sen­ti­ment, un mélange de fierté et d'em­bar­ras. J'ai été très touché par cette récom­pense, mais le con­tre­se­ing monar­chiste qui l'ac­com­pa­gne m'en­chante moins. Mes con­vic­tions indépen­dan­tistes, ma sen­si­bilité pro­gres­siste, ma con­cep­tion de la démoc­ra­tie, peut-être aussi l'habi­tude de voir les représen­tants actuels du pou­voir mépriser ces valeurs, me prédis­po­saient à re­fuser ce prix. Sur le coup, c'est ce que j'ai cru de­voir faire. Après réflex­ion, j'ai changé d'idée. Il ne faut pas con­fon­dre le nom et la chose. Ce prix est remis par un jury de pairs, com­posé de femmes et d'hommes du monde des arts et des let­tres. At­tribué par une in­sti­tu­tion publique, le Con­seil des arts du Canada, il rap­pelle l'at­tache­ment de la société à la cul­ture, à la pensée et la littéra­ture, qui sont des con­di­tions es­sen­tielles de la lib­erté. Ce rap­pel im­porte à une époque où le pou­voir exécu­tif se méfie des in­tel­lectuels, où l'ap­pareil d'État muselle la sci­ence, où le pre­mier min­istre recom­mande d'user de la so­ci­olo­gie avec modéra­tion. L'as­servisse­ment est tou­jours une ig­no­rance im­posée, la démoc­ra­tie néces­saire­ment un savoir partagé. Mon es­sai, Tenir tête, qui raconte la grève étu­di­ante de 2012, re­pose sur cette con­vic­tion.

 La liste des lauréats de ce prix est in­tim­i­dante. Elle est aussi in­spi­rante. En 1968, Fer­nand Du­mont a reçu le même prix que moi. Il a décidé de l'ac­cepter, mais il s'est em­pressé de remet­tre son chèque à René Lévesque. Pourquoi ? Parce que l'homme poli­tique se bat­tait pour faire en­trer dans la réalité les idées que les livres de Du­mont défendaient. L'an dernier, la je­une poète au­tochtone Kather­ena Ver­mette ac­cep­tait elle aussi l'hon­neur, en spécifi­ant qu'elle l'utilis­erait pour défendre l'au­todéter­mi­na­tion des Premières Na­tions. Je pense aussi qu'il ne suf­fit pas d'hon­orer les idées, qu'il im­porte surtout de leur don­ner vie. Au lieu de re­fuser le prix sym­bol­ique­ment, j'ai décidé d'y voir une oc­ca­sion de faire avancer les choses concrètement. 

 Pétro-fédéral­isme 
 Le Québec est actuelle­ment à la croisée des chemins. Le gou­verne­ment con­ser­va­teur, ap­puyé par les deux autres par­tis fédéral­istes, sou­tient les com­pag­nies pétrolières cana­di­ennes qui désirent trans­former le pays en au­toroute pour le pétrole sale de l'Al­berta. Ces pro­jets d'oléoducs, en pre­mier lieu le con­tro­versé En­ergy East, font peser sur notre en­vi­ron­nement des risques démesurés au re­gard des avan­tages économiques dérisoires qu'on en re­tir­era. Ce qui est au­jourd'hui menacé c'est l'intégrité de toute la vallée du Saint-Lau­rent, le coeur de notre pays réel.

 La mol­lesse et l'indéci­sion du gou­verne­ment libéral dans ces dossiers s'ex­pliquent surtout par son ac­cep­ta­tion aveu­gle du pétro-fédéral­isme cana­dien. Comme le mon­trent ses décla­ra­tions récentes, Philippe Couil­lard adhère pas­sive­ment au pro­jet in­sensé d'une intégra­tion de tout le Canada aux intérêts pétroliers de l'Ouest, au mépris des pe­u­ples qui y vivent. Pour ma part, je suis con­va­incu que, main dans la main avec les Premières Na­tions, on ne doit pas renon­cer à de­meurer maîtres chez nous. 

 Chaque jour, les rap­ports af­folants des sci­en­tifiques nous met­tent en garde con­tre le désas­tre économique que représente le réchauf­fe­ment de la planète, auquel con­tribue plus qu'il ne faut ce pétrole sale. À Ot­tawa, on refuse d'écouter ces sa­vants. On refuse de soumet­tre au principe de réalité le désir de gains faciles. Le pétro-fédéral­isme vit dans le déni, l'ig­no­rance délibérée des conséquences de ses actes, il est le gou­verne­ment des ir­re­spon­s­ables. N'en déplaise à ceux qui désirent ven­dre le Québec pour un plat de lentilles, de plus en plus de gens s'op­posent à cette dépos­ses­sion. Dans les derniers mois, des citoyens et des citoyennes de partout s'or­gan­isent au sein de la cam­pagne " Coule pas chez nous ! ", afin de rap­peler au gou­verne­ment fédéral et aux no­ta­bles de province, que nous avons les moyens de choisir une autre voie pour notre prospérité col­lec­tive : celle de l'au­todéter­mi­na­tion économique et poli­tique. J'ai donc décidé de don­ner les 25 000 $ qui ac­com­pa­g­nent le prix à la cam­pagne " Coule pas chez nous ! ".

Dès au­jourd'hui, j'in­vite l'en­sem­ble de la pop­u­la­tion à se join­dre à moi afin de dou­bler ce mon­tant, en faisant un don sur le site doublonslamise.​org. Joignez-vous à moi pour aider ceux et celles qui défend­ent les intérêts col­lec­tifs du Québec. »

4 commentaires:

  1. Un article très pertinent et d'occasion. Un beau geste posé.

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    1. Bonjour Puce,
      Oui, c’est très généreux de la part de ce jeune d’offrir son prix à une cause.
      J’essayerai de trouver des exemples semblables une fois la semaine.
      Si toutefois tu en trouves toi dans l’actualité, n’hésite pas à nous en faire part.

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  2. C'est très encourageant un geste comme celui-là, par un jeune comme lui. Et que dire de son texte, Merci.

    Agathe

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    1. Bonjour Agathe,

      C’est ce que je me suis dit en prenant connaissance de son texte,
      un jeune homme qui incite à avoir foi en la jeunesse.
      Un geste qui a déjà commencé à faire boule de neige... !

      Merci pour ton commentaire !
      M.

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